Vers une assurance « connectée » pour une gestion de risque améliorée

Plus d’1 assureur sur 3* réfléchit désormais en priorité à l’évolution de son modèle économique. Ces professionnels repensent leurs modèles d’activité face à l’irruption du digital et des Insurtechs, ces « startups » de l’assurance. Les explications de Karine Lazimi Chouraqui, qui a été en charge de l’innovation d’Allianz France avec notamment la mise en place du risque de réputation de la marque sur le digital avant de se tourner vers le courtage et de fonder son cabinet, LCK Assurances, à Paris 8ème.

Comment concevez-vous l’évolution générale du métier d’assureur ?

Le métier d’assureur est en train de changer, passant de la gestion des risques à la gestion des clients. Pour les conserver, les assureurs doivent mettre en œuvre de véritables programmes relationnels afin d’anticiper et de contrer les résiliations. Avant, ce métier était très centré sur le marketing produit, aujourd’hui, il se concentre plus sur les besoins clients… et essentiellement la prévention. Sans nul doute, c’est sur les services (accompagnement, prévention, plate-forme de services clients…) que se fera la fidélisation, et non plus sur les produits. Ils sont devenus l’élément de différenciation d’une marque à l’autre. En ce qui me concerne, je suis courtier, ce qui signifie que je suis l’intermédiaire entre l’assureur et le client. Je vends un service, un accompagnement qui leur permet de souscrire un contrat. En cela, mon rôle de conseil s’avère essentiel.

Peut-on parler de nouvelles missions de l’assureur ?

Sans aller jusque-là, ce professionnel élargit son offre de services au-delà de l’assurance au sens strict du terme. Par exemple, de l’assistance, du coaching personnalisé, des services de conciergerie mais aussi des offres couvrant les nouveaux usages collaboratifs, tels que le partage de véhicules, la location saisonnière entre particuliers… Aussi, l’émergence d’une économie « de partage », où les biens sont mutualisés, requiert de nouveaux contrats d’assurance, éphémères. Via le numérique, les assureurs peuvent également se diversifier et proposer de l’archivage électronique ou de la surveillance de domicile. Des services qui, pour certains, entrent en concurrence avec d’autres secteurs, tels que les banques par exemple.

Vous évoquez la modularité des contrats… Qu’entendez-vous par là ?

Le client choisit ce dont il a besoin et il co-construit finalement avec l’assurance le contrat qu’il souhaite.

Quels outils utilisez-vous ?

J’utilise principalement mon ordinateur pour être relié aux extranets de l’ensemble des assureurs et grossistes avec qui je travaille. Et je reste joignable via mon mobile ou mon mail. Dans un contexte où les consommateurs sont ultra-connectés, mobiles et très réactifs, nous nous devons, en tant que professionnels, d’être disponibles à leur convenance et de nous doter des mêmes outils. Tous ces outils doivent nous permettre d’être mieux à l’écoute – car c’est là le fondement d’une bonne qualité de service – et de gérer les risques en accompagnant le mieux possible nos clients.

Dans l’étude PAC / Effisoft, les assureurs estiment que plus de la moitié de leurs clients combineront canaux physiques et numériques en 2020 pour entrer en contact avec eux. Qu’en pensez-vous ?

Les points de contact entre les assureurs et leurs clients se sont considérablement multipliés. Les citoyens, dans la mobilité, souhaitent interagir avec les autres (à titre privé ou professionnel) n’importe quand et n’importe où, via les apps, les réseaux sociaux, les mobiles… Changeant fondamentalement la relation, qui devient multiforme et omniprésente. Ce dernier point est très important car in fine, il renforce le lien de confiance entre l’assureur et son client.

Quels sont les risques liés au numérique ?

Les risques liés au numérique pour les entreprises et entrepreneur(e)s sont nombreux : commentaires négatifs, dénigrements de la part d’un client, d’un prestataire, d’un ancien salarié, usurpation d’identité… Autant d’éléments qui peuvent ternir votre image, celle de votre entreprise ou de vos dirigeants. Avec les conséquences que l’on sait sur le business. D’où l’intérêt de se protéger, en demandant conseil à son intermédiaire ou à son assureur. En cas d’atteinte à votre « e-réputation », ou celle de votre entreprise, il faut savoir qu’une procédure judiciaire peut être lancée. La protection juridique permet au souscripteur d’être défendu par un avocat. Et si le préjudice est avéré, le client peut demander réparation et obtenir une indemnité. Par ailleurs, je forme régulièrement des risk managers au sein des entreprises pour qu’ils s’occupent des comptes Twitter, Facebook… de leur entreprise. Car il faut des experts techniques.

Vous avez vécu de l’intérieur la mue digitale d’acteurs tels que les AGF ou Allianz. Comment percevez-vous cette transformation aujourd’hui ?

Nous n’en sommes qu’au début. Les innovations ne cessent de se multiplier : demain, tout sera connecté : IDC prévoit que les dépenses mondiales en technologies de l’Internet des objets atteindront 1200 milliards de dollars en 2022 ! Prenez les immeubles dits « Smart Building » : ils sont équipés de capteurs IoT (Internet des Objets) et le moindre dommage est immédiatement détecté. C’est beaucoup plus facile pour la cartographie des risques et donc plus rapide pour la gestion des sinistres. Dans certains cas, grâce aux données remontées, il devient possible d’anticiper les déficiences d’un bâtiment et donc d’agir avant que le sinistre n’arrive.

Pouvez-vous décrire une journée type du futur d’un de vos clients ?

Dès son réveil, il sera connecté, grâce à son alarme basée sur les cycles de sommeil, qui détectera le moment idéal pour le sortir du lit. Puis, un assistant de vie lui donnera l’agenda de la journée et lui indiquera ce qui est préférable de manger dès le petit déjeuner en fonction de ses besoins, quel chemin emprunter pour se rendre au bureau pour éviter les bouchons… Sa voiture autonome l’emmènera à bon port : sans infraction au code de la route, sans excès de vitesse… Une conduite vertueuse, enregistrée par des capteurs qui délivrent les datas à son assureur automobile, qui améliorera, de fait, son bonus. Un bracelet connecté enregistrera ses pas quotidiens et transmettra ses informations en temps réel à son assurance santé. Grâce à son taux d’activité élevé, il bénéficiera alors d’une offre très avantageuse.

Que pensez-vous de cette tendance à l’ultra-connexion ?

Même si nous n’adhérons pas forcément à ce type de comportement, la société se doit de s’adapter à un univers qui est de plus en plus numérique. Avec un avantage certain : comme on l’a vu dans le scénario type, les innovations technologiques vont réduire considérablement les niveaux de risque. Et le coût ! Par exemple, dans la philosophie du « Pay as you Drive », les nouvelles assurances auto garantissent une facturation liée à l’usage, donc adaptée à sa réelle consommation. De plus en plus, nous évoluerons dans un monde d’anticipation, de prévention. Ce qui entraînera une hyper-personnalisation des produits d’assurance. Il est clair que l’assurance de demain ne sera plus un sujet de professionnel(le)s ou d’expert(e)s mais bel et bien un sujet sociétal.

Y-a-t-il des risques ?

Le plus grand risque est le défaut de conseils. Prenez par exemple l’assurance habitation : tout le monde y souscrit, mais que se passe-t-il si vous tombez dans votre salle de bain ? Les « petits » risques du quotidien ne sont pas couverts par ce type d’assurance. Un chatbot ou une appli pourront prévenir le client mais est ce que le client va réellement prendre le temps de lire « l’alerte » ? L’humain, l’intermédiaire, a donc toute sa place à ce moment clé du processus de souscription. Attention aussi à ce que les données récoltées par le biais de l’IoT ne conduisent pas à un « flicage » de l’assuré. Mais en France, la CNIL veille au grain.

* 35% (étude réalisée par le cabinet d’analystes PAC à la demande de l’éditeur de logiciels Effisoft)

Intéressé par la relation client dans l’assurance ? Découvrez l’article de Gilles Talbot sur le sujet !

Après la réalisation de projets web variés depuis 1994 en commençant par France Telecom, Karine Lazimi Chouraqui a piloté l’Innovation pour et embarque l’entreprise vers le digital avec notamment les Réseaux Sociaux d’Entreprise (RSE) et l’entreprise collaborative entre 2009 et 2012. Dès 2013, elle prend la responsabilité de l’Expérience Digitale en mobilisant l’entreprise pour industrialiser les réseaux sociaux et l’e-reputation. Karine devient Agent Général Allianz en 2016 pour se concentrer sur l’Humain dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Elle prend le virage du courtage en septembre 2017 en créant le Cabinet LCK Assurances à Paris pour accompagner ses clients avec une expertise Immobilier, Entreprises, Start Up & E-réputation. Elle est également membre du Comité scientifique de l’Ecole Polytechnique d’Assurances, cofondatrice du Collectif #i4emploi, membre du Comité de Réflexion stratégique de l’Observatoire ComMedia, membre de l’Observatoire de l’Uberisation, membre des Quelques Femmes du Numérique #QFDN et co-fondatrice du Collectif #Generation3W.

Partager: